Yasmine Yahiatene

« Papa, tu sais quels sont les points communs entre l’Algérie et l’alcool ? J’en ai trouvé trois : la honte, le tabou et le silence. » L’alcoolisme du père de Yasmine Yahiatene l’a séparé de sa fille, qui s’est lancée dans une recherche autobiographique pour en faire le deuil - de son vivant. Décédé depuis, il est le point de focale de ce solo-vidéo, maillé d’archives privées et publiques, de repères personnels ou collectifs. Le privé, si on l’avait oublié, est toujours aussi politique. C’est ce que nous rappelle le destin d’Ahmed, dommage collatéral d’une mémoire franco-algérienne qui a effacé voire écrasé bien des pères introvertis comme lui. Pour en composer le portrait, Yahiatene économise le verbe, privilégie le grain low-tech des VHS familiales, passe de Zidane à Iphigénie, et injecte sa propre intimité sur scène, espace intérieur dans lequel le spectateur l’observe mener son enquête socio-historique. Elle y décèlera : le refoulement des origines, les traumas de guerre, le déplacement forcé, l’intégration à la hâte, l’ensevelissement sous la boisson, et, bien sûr, la transmission des complexes identitaires. À la croisée des autobiographies théâtrales de Mohamed El Khatib ou du Tarnation de Jonathan Caouette, La Fracture est un jeu de piste individuel mais universel, à déchiffrer dans la mosaïque des documents rapportés à l’écran, comme dans la marelle identitaire que Yasmine compose au Posca blanc à même le plateau.