Anne-Sophie Turion

La projection, l’anticipation, sont-elles des névroses inhérentes à notre condition humaine ? Anne-Sophie Turion se propose en tout cas d’en faire la démonstration par l’absurde tout le long d’un seul-en-scène low-tech, suspendu dans un espace-temps fantasque. L’artiste s’y laisse guider par sa vaine pulsion de contrôle sur le cours des choses, qu’elle canalise ici sur un projet de voyage dans « la ville la plus heureuse du monde » : Aarhus, au Danemark (d’après le World Happiness Report 2020). Des éléments glanés en ligne (Google Earth ou Images, Airbnb, Tinder, divers blogs et articles) déclenchent chez elle des spéculations détaillées sur le déroulé de son séjour, entre probabilités, espoirs et hypothèses, qu’elle illustre à l’oral et par un décor fait-main, qu’arpente une « caméra-basket ». De l’aéroport aux péripéties sur place, jusqu’au temps même du spectacle, inclus dans la chronologie qu’il entend couvrir, ce voyage immobile parcourt plusieurs latitudes : celle des espaces potentiels que l’on préfigure presque malgré soi, celle de nos temporalités à géométrie furtive, et, en calque, celle de nos tendres inhibitions liées à l’inconnu et à l’imprévisible.