Làzaro Benitez, Ricardo Sarmiento & Luis Carricaburu

Comment s’articulent art chorégraphique et commentaire socio-politique ? La question démange la scène de longue date, en plateau comme en étude, et le Colectivo Malasangre la rattache à leurs parcours personnels d’immigrés cubains. Dans Qué Bolero o en tiempos de inseguridad nacional, l’approche qu’il propose est espiègle mais distanciée, à cheval entre le pantomime engagé et l’action dansée. Échantillon d’une génération que la chute du socialisme et de la crise économique a déplacé en Europe, le trio cubain se livre à une réflexion sur le passé proche de son pays, à décrypter tout au long d’une série d’allusions visuelles et de clins d’œil culturels agencés avec une douce ironie. Dans les contrastes et les ruptures - entre jubilation et amertume, glamour et souffrance sociale – se lit l’effritement d’un récit national. À la correspondance d’une mère mourante, à l’interrogatoire d’un militant en exil, répondent des fragments de carnaval, de folklore ou de farce médiatique, auréolés d’un décor DIY mais glitter, taillé dans des matériaux qui disent tous la précarité, le déplacement et la migration. En dernier acte, les états d’âme des performeurs montent en acmé dans un Boléro à la fois célébré et gentiment rudoyé. Et pour cause : import de l’ancien colon espagnol, le mastodonte de Maurice Ravel inspira un genre à part entière sur le sol cubain, dont le Colectivo s’empare comme le symbole d’une fracture culturelle irrésolue depuis.