Roméo Castellucci

Et si la vraie terreur, c’était le verbe – ou son criminel dévoiement de masse à l’ère contemporaine ? C’est un des sentiments induits par The Third Reich, l’expérience de vidéo performative aux allures de traitement Ludovico que propose le metteur en scène et plasticien Roméo Castellucci. Sous une forme bien plus modeste que les grosses cavaleries scéniques qui ont fait son nom, le démiurge italien propose ici un nouveau rébus, simplement composé d’une action ritualisée suivie d’une projection audio-visuelle quelque peu tyrannique, à la limite de nos capacités sensorielles. Un individu s’y livre à une cérémonie croisant les codes de la technique, de l’anatomie et du mysticisme, puis cède sa place à un stroboscope où défilent à haute vitesse tous les substantifs contenus dans le dictionnaire, sous les coups de semonces d’une bande-son synchrone. À mesure que le signe se vide de sa substance, un saccage cognitif s’enclenche : la sur-sollicitation du circuit rétine/mémoire débouche sur une anesthésie du sens, et, immanquablement, une abolition du libre-arbitre. Inspiré de l’incisif Lingua Tertii Imperii dans lequel Victor Klemperer démantelait en 1947 le détournement du langage par l’appareil nazi, l’explicitement titré The Third Reich nous jette dans une course au chaos, celle déjà menée par l’hégémonie informationnelle et communicationnelle, et par la sémantique moderne, levier privilégié de tous les pouvoirs.

Précaution : le spectacle comporte des effets stroboscopiques et sonores qui peuvent déranger.